De l’individualisation des peines

« S’en prendre à un policier doit avoir une réponse extrêmement ferme. […] » a assuré Gérald Darmanin après l’agression d’un policier à Tourcoing le 11 septembre 2025. Et à l’entendre, la fermeté de la réponse pénale passe nécessairement par l’instauration de « peines minimales ».

En juin, déjà, le garde des Sceaux avait annoncé vouloir « faire évoluer radicalement la loi » en mettant en place « une condamnation minimale systématique une fois la culpabilité du délinquant reconnue ». Velléité soutenue par le nouvel ancien Premier ministre François Bayrou : « Là où, dans la loi, sont inscrites des peines maximales, on pourrait écrire aussi des peines minimales », avait déclaré celui-ci devant la représentation nationale. S’agit-il d’instaurer des peines minimales pour certaines infractions seulement, ou pour toute infraction ? Et, de ce fait, revenir à l’ancien Code pénal ? S’agit-il de ressusciter les « peines planchers » disparues depuis plus de dix ans ? Nul ne le sait. En revanche, chacun comprend que le principe d’individualisation de la peine, qui découle de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme (« La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ») et qui a valeur constitutionnelle depuis la décision du 11 juillet 2005 du Conseil constitutionnel, risque fort, dans les mois qui viennent, d’être mis à rude épreuve.

En droit français, les peines incompressibles ont existé tout au long du XIXe siècle. Jusqu’à l’entrée en vigueur, en 1994, du nouveau code pénal. Pour chaque type d’infraction, une peine minimale et maximale était encourue. À titre d’exemple, l’article 460 de l’ancien code pénal punissait le recel de trois mois à cinq ans d’emprisonnement, et d’une amende allant de 10 000 (1 525 euros) à 2 500 000 francs (571 500 €), ou de l’une de ces deux peines. Pour autant, l’ancien code pénal permettait aux juridictions correctionnelles de réduire la peine bien en deçà du minimum légal en cas de circonstances atténuantes, entendez un panel de circonstances : « Les bons antécédents du coupable, la mauvaise éducation qu’il a reçue, son âge, son repentir, les mobiles qui l’ont fait agir, les passions qui l’ont entraîné, l’ascendant qu’un complice a exercé sur son esprit, son extrême misère, son ignorance de la loi, le peu d’importance du préjudice causé ou sa réparation, le fait que le délit n’a pas réussi, le défaut de préméditation. » Prenant acte de cette pratique, le nouveau code pénal de 1994 a supprimé les minima de peine.

Treize ans plus tard, la loi du 10 août 2007 « renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs » a établi des peines planchers pour les condamnés en récidive. Le but affiché était clair : dissuader toute personne déclarée coupable en état de récidive de commettre une nouvelle infraction en la condamnant à une peine minimale. Le juge conservait cependant la possibilité de déroger à la peine plancher par une décision spécialement motivée, « au regard des circonstances de l’infraction, de la personnalité de l’auteur ou des garanties d’insertion ou de réinsertion présentées ». Conséquence directe de la réforme : en moyenne, les peines infligées aux récidivistes ont été deux fois plus sévères, et la procédure de comparution immédiate fut – sans surprise – le lieu de prédilection du prononcé des peines planchers. Pour autant, la réforme n’a pas eu l’effet escompté (sauf à considérer comme salutaire une hausse de la population carcérale de l’ordre de 4000 détenus, pour un coût annuel d’au moins 146 M€).

Le rapport de l’Institut des politiques publiques souligne en effet que « si l’on observe bien une diminution de certains types de comportements délinquants », seuls ceux qui ont récidivé une deuxième ou une troisième fois (1,75% des condamnations avant la réforme) ont vu leur probabilité de commettre une nouvelle infraction baisser d’environ 12 %. Cette mesure, emblématique du quinquennat de Nicolas Sarkozy et largement décriée, fut supprimée en 2014 par Christiane Taubira, alors garde des Sceaux, conformément à la promesse de campagne de François Hollande.

Le 18 septembre 2025, Gérald Darmanin réagissait en ces termes au placement sous contrôle judiciaire de certains des mis en examen : « La remise en liberté si rapide de voyous à Tourcoing, mineurs ou majeurs, qui s’en prennent à des forces de l’ordre, n’est plus possible. La loi, obsolète et plus à la hauteur de la violence de la société, doit être absolument et rapidement changée tel que je le propose : peines minimales de prison ferme effectuées immédiatement avec mandat de dépôt pour tous ceux qui s’en prennent aux policiers, gendarmes, douaniers, policiers municipaux, pompiers, soignants, agents pénitentiaires, élus locaux, greffiers ou magistrats. » Réaction échaudée qui ne peut qu’interroger sur la propension d’un garde des Sceaux à jeter le discrédit sur une décision de justice. D’autant que, soit dit en passant : « Le fait de chercher à jeter le discrédit, publiquement par actes, paroles, écrits ou images de toute nature, sur un acte ou une décision juridictionnelle, dans des conditions de nature à porter atteinte à l’autorité de la justice ou à son indépendance est puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende » précise l’article 434-25 du Code pénal. À suivre…

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