Le délit de discrédit jeté sur un acte ou une décision de justice (article 434-25 du Code pénal) a pour objet de protéger l’autorité et l’indépendance de la justice. Bien sûr, cette infraction ne saurait empêcher la critique d’une décision de justice au nom de la liberté d’expression, et la Cour de cassation veille au juste équilibre entre cette liberté et la nécessaire protection qui doit entourer le prononcé d’une décision juridictionnelle (voir en ce sens : Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 11 mars 1997, 96-82.283, Publié au bulletin).
En habile communiquant, Gérald Darmanin ne s’en est pas directement pris à la décision de placement sous contrôle judiciaire de certains mis en cause dans l’affaire de Tourcoing : il a préféré fustiger la « loi obsolète » qui l’aurait commandée. Personne, pourtant, n’est dupe : le sous-texte consiste bien à dire que les juges sont laxistes et qu’il est nécessaire de les contraindre en prévoyant des peines automatiques.
Deux observations :
– Tout d’abord, le juge des libertés et de la détention aurait très bien pu, sous l’empire de la loi actuelle, ordonner l’incarcération des mis en examen, et la chambre de l’instruction peut, dans quelques jours, infirmer leur placement sous contrôle judiciaire et les placer en détention provisoire, puisqu’un appel a été interjeté par le parquet (qui, rappelons-le, n’est pas indépendant).
– Ensuite, les praticiens ne le savent que trop bien : la justice n’est jamais en manque d’imagination pour justifier une détention provisoire souvent très discutable au regard des critères posés par l’article 144 du code de procédure pénale.
Précisons encore qu’une nouvelle loi ne changerait rien au cas d’espèce, puisque aucune peine, même plancher, ne saurait être prononcée au stade de l’information judiciaire.
Mais les gesticulations populistes de Gérald Darmanin pour vendre une énième réforme ne sauraient faire oublier le plus inquiétant : voilà un garde des Sceaux qui viole allègrement (effrontément, insolemment, impudemment ?) la présomption d’innocence et la séparation des pouvoirs. Dès l’interpellation des – non encore – mis en cause, il qualifiait ces derniers « d’auteurs des violences contre le policier ». Le lendemain, il évoquait « les auteurs présumés » des faits. Encore raté.
Mais voilà qu’il les affuble désormais du qualificatif de « voyous », au mépris de la présomption d’innocence consacrée par l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, protégée par l’article 9-1 du code civil et par l’article préliminaire du code de procédure pénale.
La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 consacre également, en son article 16, le principe de la séparation des pouvoirs, dont l’objectif est d’en finir avec l’arbitraire propre à l’Ancien Régime : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution. »En vertu de ce principe constitutionnel, le politique n’a pas à se mêler des affaires judiciaires. Surtout lorsqu’elles sont en cours. Et davantage encore lorsqu’on est garde des Sceaux (même démissionnaire). À moins, bien sûr, que la constitution ne soit également un texte « obsolète ».
En juillet 2020, Gérald Darmanin, alors ministre de l’Intérieur, était mis en cause dans une affaire de viol. Il affirma alors : « Je ne commente pas les affaire de justice en général et la mienne en particulier. […] J’ai le droit à la présomption d’innocence. On n’est jamais mieux servi que par soi-même.