Par décision du 11 juillet 2025, le Conseil constitutionnel a rappelé, non sans vigueur, que le respect des droits de la défense, du procès équitable et du principe du contradictoire ne saurait être, au nom des impératifs de sécurité nationale, relégué au rang de variables d’ajustement. En censurant le paragraphe II de l’article L. 773‑11 du Code de justice administrative issu de la loi du 26 janvier 2024, les Sages ont mis un terme à une dérive législative pour le moins inquiétante : celle d’une justice à sens unique, fondée sur une asymétrie procédurale attentatoire aux principes les plus fondamentaux de l’État de droit.
Arguant de la sûreté de l’État, le dispositif contesté permettait à l’administration de soumettre au juge des éléments dont le justiciable n’était ni informé, ni destinataire, et dont l’existence même pouvait être tue. Plus précisément, lorsque des motifs liés à la sûreté de l’État l’exigeaient (notamment pour ne pas compromettre une opération de renseignement ou dévoiler des méthodes opérationnelles), il l’autorisait à transmettre au juge administratif des éléments confidentiels dans un mémoire séparé, sans que ni leur existence, ni leur contenu fût porté à la connaissance du justiciable. Cette procédure dérogatoire s’appliquait à des mesures particulièrement sensibles : dissolution d’associations, fermeture de lieux de culte, refus ou retrait de titres de séjour ou du statut de réfugié, expulsions, assignations à résidence, gel des avoirs, contrôle des retours sur le territoire national, décisions relatives à la nationalité, aux visas, à l’entrée aux frontières, etc. Sous couvert de lutter contre des menaces pesant sur l’ordre public, le législateur donnait ainsi un authentique blanc-seing à l’administration et, ce faisant, érigeait le secret en principe et le contradictoire en exception.
Quant au juge administratif, dès lors que la partie adverse n’était même plus en mesure de connaître (donc de contester) les griefs retenus elle, il était relégué au rang de chambre d’enregistrement et ne disposait plus que d’un rôle parfaitement résiduel.
Il est heureux que le Conseil constitutionnel ait pris soin de réaffirmer que l’on ne saurait préserver l’ordre public au détriment des garanties procédurales les plus élémentaires. Il réaffirme ainsi que le principe du contradictoire, corollaire du droit à un procès équitable et des droits de la défense, est une exigence constitutionnelle absolue. Il n’est de justice sans contradiction : seulement un pouvoir qui tranche sans entendre ni écouter.
Cette décision salutaire s’oppose à une dynamique législative de plus en plus tentée par une conception minimaliste de la justice administrative – spécialement lorsqu’il est question de sécurité ou d’immigration. À rebours du mouvement de banalisation de l’exception, le Conseil rappelle ainsi que l’État de droit se mesure à sa constance à garantir les droits de chacun et à résister aux tentations de l’arbitraire.