Focalisés sur la censure relative à la loi Duplomb, les médias ont (presque) oublié que le Conseil constitutionnel avait censuré, le même jour et à la surprise des constitutionnalistes, les articles 1 et 2 de la loi promulguée le 11 août dernier, « visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d’une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive. »
Une fois la censure tombée, place aux indignations convenues. Le ministre de l’Intérieur s’est empressé de dégainer un communiqué de crise : « Je ne me résoudrai jamais à ce que des innocents soient assassinés demain par des étrangers dangereux en situation irrégulière qui n’auraient pas été expulsés à temps parce que la loi empêchait leur maintien en rétention administrative. La loi doit donc être modifiée. Je ferai tout pour qu’elle le soit. » L’extrême droite n’aurait pas mieux dit – ce qui tombe bien, ce sont précisément ses refrains qu’entonne Bruno Retailleau. Or, derrière les déclamations sur « les innocents qu’il faut sauver » et « les étrangers dangereux », le projet du gouvernement instituait une machine à enfermer jusqu’à 180 jours (voire 210), au motif qu’un ressortissant étranger avait été condamné pour certains crimes ou délits, sans que l’administration soit tenue de démontrer qu’il représentait encore une menace – après avoir purgé sa peine. Ce qui revenait à instituer une (nouvelle) double peine automatique pour les étrangers.
Le Conseil a censuré pour des raisons évidentes : le texte s’appliquait notamment aux étrangers frappés d’une interdiction du territoire français, quand bien même celle-ci viserait des infractions qui n’ont rien de « particulièrement graves ». Et, détail que les partisans du président des Républicains se sont gardés de rappeler, cela pouvait concerner des condamnations qui n’étaient ni définitives, ni exécutoires. Autrement dit, on pouvait prolonger une rétention au titre de sanctions encore incertaines.
Mais l’apothéose tenait à l’article 2, permettant de maintenir un étranger en rétention malgré une décision de remise en liberté prononcée par un juge, en raison de l’appel du ministère public ou de l’autorité administrative. Le droit existant est pourtant limpide : l’article L. 743-22 du CESEDA prévoit que lorsqu’une ordonnance met fin à une rétention administrative, le ministère public peut saisir sans délai le premier président de la cour d’appel, lequel peut décider, par une ordonnance spécifique et motivée, d’accorder un effet suspensif au recours. À la condition toutefois de démontrer un danger concret : absence de garanties de représentation ou menace grave pour l’ordre public. La mécanique est claire : le juge décide, charge à l’appelant de convaincre un second juge de suspendre la liberté. La loi censurée voulait abolir cette exigence de contrôle, substituant un pur automatisme au regard du magistrat.
Bruno Retailleau, jamais à court d’annonces, s’est empressé de promettre un nouveau texte « modifié », histoire de rejouer la pièce au plus tôt devant le Parlement. Mais qui est dupe ? Nul besoin d’attendre très longtemps : le règlement européen « retour », en négociation à Bruxelles et dont on connaît déjà l’issue, prévoit une rétention possible jusqu’à… 24 mois. Il doit remplacer l’actuelle directive, qui autorise déjà 18 mois de rétention mais qui, contrairement au nouveau texte, a besoin d’une transposition dans la loi française – et peut donc bénéficier d’un éventuel contrôle par le Conseil constitutionnel.
Au-delà du fond, il y a quelque chose de sournois à mettre en scène une soi-disant impitoyable détermination à obtenir… ce qui tombera malheureusement « tout cuit » dans quelques mois. Le ministre n’en rabat pas pour pourtant dans sa surenchère : « Plus fondamentalement, je le dis dès maintenant : c’est au peuple souverain qu’il revient de se prononcer sur les questions essentielles de la sécurité et de l’immigration, par référendum. Le moment venu. » Derrière cette déclaration, se dessine en réalité une stratégie en trois actes : instrumentaliser la décision du Conseil constitutionnel pour exiger le contournement des institutions garantes de l’État de droit ; reprendre les rengaines du Rassemblement national en agitant la perspective d’un référendum ; surtout, en bon communicant, inscrire cette séquence dans le calendrier électoral, quitte à ce que les personnes étrangères servent, une fois de plus, de variables d’ajustement au service d’une surenchère sécuritaire et d’ambitions personnelles.