
L’audience s’éternise. Il ne reste qu’un prévenu et les bancs du public sont vides. L’homme s’avance à la barre et s’y accroche. Il s’exprime difficilement, comme terrassé par la peur. La présidente tente de l’apaiser, elle instruit l’affaire consciencieusement, malgré l’heure tardive et la lassitude qui gagne le tribunal. L’homme répond aux questions en se perdant dans des détails sans intérêt ; il ne comprend pas ce qui lui est reproché, assure qu’il n’a escroqué personne, répète que cette affaire l’épuise et le torture depuis des années. Le plaignant, lui, est aux abonnés absents. L’homme parle d’une vengeance, d’un règlement de compte. Les pièces produites par la défense sont disséquées et débattues. « Elles sont la preuve de mon innocence ! » assure l’homme qui parle trop vite, trop fort, et coupe sans cesse la présidente. À trop vouloir expliquer et convaincre, il finit par l’agacer. Pourtant, le tribunal reconnaît à mi-mots que les éléments contre lui sont minces, que la plainte est peu étayée et l’enquête lacunaire. Le procureur se lève et requiert sans grande conviction. Le tribunal finit par se retirer. Il est minuit passé. L’homme fait les cent pas dans la salle d’audience vide. « Le tribunal ! » La présidente lui demande de revenir à la barre ; il s’y accroche à nouveau de toutes ses forces. « Le tribunal vous relaxe des fins de la poursuite. » L’homme vacille. La présidente lui tend ses pièces, l’invite à les reprendre. Mais il reste collé à la barre, comme coincé par elle, empêché de s’approcher du bras qu’on lui tend. Puis, à la stupeur générale, il se baisse, se recroqueville, ramasse son corps pour passer sous la barre et se met à avancer à quatre pattes. La présidente s’écrie : « Mais relevez-vous, enfin ! Qu’est-ce que vous faites ? » L’homme lève la tête vers le tribunal, hagard : « Oui, vous avez raison… Qu’est-ce que je suis en train de faire… ». Et il s’assoit par terre, souriant, épuisé.
