En appelant à un « référendum sur l’immigration », Philippe de Villiers, qui cherche à revenir au premier plan de la vie politique, propose en réalité un scrutin qui s’apparente à un référendum contre l’immigration. Le choix des mots ne trompe pas : difficile de ne pas y entendre un écho appuyé au « grand remplacement ».
La pétition qu’il met en avant, créditée de 1 700 000 signatures, soulève à elle seule bien des interrogations : rôle décisif des médias du groupe Bolloré dans la diffusion, conditions douteuses de collecte des données personnelles, impossibilité de vérifier le nombre réel de signataires (on peut signer plusieurs fois). Mais l’enjeu idéologique en dissimule un autre, juridique celui-là. La proposition de Villiers n’a rien de nouveau : la « préférence nationale » est depuis longtemps l’étendard du Rassemblement National et d’une partie de la droite. Promettre d’y accéder par référendum ne change rien à la difficulté première : un tel référendum est, en droit, impossible.
En effet, la Constitution encadre strictement ce mécanisme. L’initiative appartient soit au gouvernement, soit à un cinquième des parlementaires, sous réserve qu’un dixième du corps soit réuni. Et encore cela ne concerne-t-il qu’un champ bien circonscrit, à savoir des réformes touchant à l’organisation des pouvoirs publics, à la politique économique, sociale ou environnementale. Même en adoptant l’interprétation la plus élastique possible des termes « économique » ou « social », on ne peut y faire entrer la logique de préférence nationale, qui relève non pas d’un ajustement technique mais d’un bouleversement des principes fondateurs du pacte républicain.
En tout état de cause, il revient au Conseil constitutionnel de contrôler la validité d’un référendum d’initiative partagée. Or, instaurer juridiquement une telle « préférence » contreviendrait au préambule de la Constitution qui a valeur constitutionnelle depuis 1971.
L’année dernière, les Républicains, flairant l’embûche, ont tenté une pirouette : faire porter la réforme sur le social et le logement, pour masquer la rupture. Toutefois, par la décision n°2024-6 RIP du 11 avril 2024, le Conseil constitutionnel a répondu à cette tentative en rappelant le préambule de 1946 (partie du préambule de la Constitution de la Vème République) : « La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement » et « tout être humain […] a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence. » La solidarité nationale ne saurait donc se plier à une préférence déguisée.
La décision, à l’époque, n’a pas manqué de soulever une tempête chez les instigateurs de la proposition : on a alors entendu ressurgir le refrain du « gouvernement des juges ».
Toutefois, à ces blocages de fond s’ajoutent des difficultés procédurales : en effet, les référendums prévus par l’article 11 de la Constitution ne peuvent avoir pour objet que des questions législatives, et non la révision du texte constitutionnel, laquelle relève exclusivement de l’article 89 et du processus parlementaire. Il faut mesurer l’importance de ce « verrou » : il s’agit évidemment d’empêcher de changer la Constitution comme on change parfois les lois, à la suite d’un fait divers ou au gré des fièvres de l’opinion, et surtout du législateur.
Le Conseil d’État l’a redit avec force dans l’arrêt Sarran et Levacher du 30 octobre 1998 : la Constitution se tient hors d’atteinte des motions populaires, protégée par un État de droit qui hiérarchise ses normes en fonction de leur poids pour la collectivité tout entière. Concrètement, toute réforme cherchant à introduire une « préférence nationale » devrait d’abord abattre ce rempart, en modifiant l’article 11 lui-même, avant d’espérer pouvoir soumettre la question à la vox populi. On n’expulse pas le principe d’égalité à coup de collectes de signatures, fussent-elles massives, pas plus qu’on ne rature la fraternité par voie référendaire.