L’isolement, sans MaPrimeRénov’

Décidément, l’incarcération d’un ancien président de la République soulève nombre de problématiques de notre procédure pénale. Il ne sera question ici ni de l’exécution provisoire, ni de l’association de malfaiteurs, ni même du mandat de dépôt à effet différé, mais de l’isolement. Pas de celui, somme toute très relatif, auquel est soumis l’intéressé : nous savons qu’il est entouré 24h/24 par deux policiers armés, que sa cellule fait quasiment le double de la surface normale et que ses proches ont obtenu non seulement la délivrance d’un permis de visite, mais encore la possibilité de parloirs le jour même de son incarcération. Quiconque aura accompagné des familles dans ces démarches et se sera un jour essayé à contacter le « numéro vert » de réservation des parloirs appréciera l’exploit. Il ne faudrait pas que ces conditions de détention, extrêmement favorables, masquent davantage ce qu’il n’est pas exagéré d’appeler les oubliettes de nos établissement pénitentiaires : les quartiers d’isolement.

Les chiffres officiels sont difficiles à recueillir, mais on sait que, en France, plus de huit cents détenus sont actuellement soumis à un régime d’isolement. Si certains y sont affectés à leur demande, d’autres encore par décision judiciaire, l’immense majorité des isolements résultent d’une décision de l’administration pénitentiaire. Le placement à l’isolement administratif est décidé par le chef d’établissement pour des motifs « liés à la sécurité des personnes et de l’établissement ». Il peut être prolongé tous les trois mois, sans limitation de durée totale. Plus il se prolonge, plus l’autorité en charge de son contrôle s’éloigne de l’établissement : direction interrégionale, puis, au-delà d’un an, ministre de la Justice. S’agissant d’une mesure administrative, le contrôle de ces mesures est très superficiel, le contradictoire n’étant pas le fort du juge administratif et les motifs d’incarcération supplantant la plupart du temps les arguments soulevés en défense (« Mais, maître, il est quand même mis en examen pour des infractions terroristes » étant la phrase répétée en boucle par le président du tribunal administratif de Versailles lorsque lui fut soumis le cas d’un gamin de dix-huit ans à l’isolement depuis plus de neuf mois et dont l’état psychologique devenait préoccupant).

Or l’isolement a des effets épouvantables sur la santé physique et psychique des détenus. C’est le régime de privation par excellence, qui implique l’absence de contact, d’activité et de perspective. Dans l’immense majorité des cas, les promenades se font dans des cours spécifiques, généralement insalubres, grillagées au ciel et pour certaines pas plus grandes que la cellule elle-même. L’isolement rend fou, au sens littéral du terme, entraînant à sa suite altération des sens, déstabilisation des repères spatio-temporels et la décompensation psychologique. La commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) le définit comme une torture blanche, et la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a déjà prononcé plusieurs décisions sur le fondement de traitements inhumains et dégradants. Les effets de l’isolement peuvent être tellement nuisibles sur la santé des détenus que le Comité européen pour la prévention de la torture du Conseil de l’Europe recommande un réexamen complet de la mesure lorsqu’elle dépasse… 24 heures.

C’est dans ces conditions que le Garde des Sceaux a créé les Quartiers de lutte contre la criminalité organisée (QLCO), des prisons dites de « haute sécurité » au sein desquelles les détenus sont soumis en permanence à un régime de quasi-isolement. Vendin-le-Vieil cet été, Condé-sur-Sarthe le mois prochain : ce sont plus de mille personnes en détention provisoire (donc présumées innocentes, mais qui s’en soucie ?) qui vont donc gouter à ce régime qui semble de moins en moins questionné, tant la rhétorique sécuritaire annihile toute réflexion. Il nous apparaît cependant qu’un régime ne saurait constituer une peine (imagine-t-on le scandale si une juridiction prononçait une peine de torture ?), alors que c’est exactement ce que se permet l’administration, qui plus est dans des conditions procédurales toujours plus problématiques : « Les documents ou informations dont la communication pourrait porter atteinte à la sécurité des personnes ou des établissements pénitentiaires sont occultés ou retirés du dossier de la procédure avant cette consultation ». Ceci n’est pas une disposition légale extraite du code pénal soviétique des années 1930, mais bien du décret du 8 juillet 2025 relatif aux QLCO).

Le placement dans ces quartiers est renouvelable sans limite de temps, sur des critères particulièrement flous. À notre connaissance, aucun des recours intentés devant les tribunaux administratifs au moment des transferts à Vendin-le-Vieil n’a abouti. On se rappelle que Robert Badinter, tellement célébré ces derniers temps, avait supprimé les quartiers de haute sécurité en raison de leur inhumanité. Son lointain successeur les a, lui, ressuscités, banalisant un régime de détention dont nous savons le risque d’extension par un effet cliquet bien connu des professionnels.

On sait (comment l’ignorer…) que certains ont la chance de lire Le Comte de Monte Cristo en cellule. Puissent-ils en rappeler cet extrait aux décideurs et commentateurs toujours prompts à dénoncer nos prisons quatre étoiles, et notamment à notre ministre, qui saura rompre son isolement factice lors de sa visite de courtoisie déjà annoncée :

Dantès pria donc qu’on voulût bien le tirer de son cachot pour le mettre dans un autre, fût-il plus noir et plus profond. Un changement, même désavantageux, était toujours un changement, et procurerait à Dantès une distraction de quelques jours. Il pria qu’on lui accordât la promenade, l’air, des livres, des instruments. Rien de tout cela ne lui fut accordé ; mais n’importe, il demandait toujours. Il s’était habitué à parler à son nouveau geôlier, quoiqu’il fût encore, s’il était possible, plus muet que l’ancien ; mais parler à un homme, même à un muet, était encore un plaisir, Dantès parlait pour entendre le son de sa propre voix : il avait essayé de parler lorsqu’il était seul, mais alors il se faisait peur.

Nota bene : Pour en savoir plus, l’on peut écouter cet excellent épisode des « Pieds sur Terre », sur France Culture.

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