
Au 1er septembre 2025, 84 311 personnes sont écrouées dans les prisons françaises, dont 22 364 sont en détention provisoire. Soit elles attendent d’être jugées dans le cadre d’une instruction judiciaire ou avant l’audience de première instance, soit avant l’audience d’appel. Tant qu’aucune condamnation définitive n’a été prononcée, toutes sont présumées innocentes.
Nombre de critiques contre le jugement de l’affaire « du financement libyen » ont pu se déverser librement – et abondamment – dans l’espace médiatique, pour notamment marteler qu’un ancien président de la République ne représentait aucun danger et ne devrait pas être incarcéré dans l’attente de l’audience d’appel. Il faut cependant rappeler les termes de la condamnation : une peine de cinq ans prononcée avec un mandat de dépôt à effet différé, avec exécution provisoire. La cour d’appel de Paris statuera sur le fond du dossier.
Mais il a fallu que des magistrats et des avocats prennent la parole pour rappeler que c’est là le quotidien de beaucoup de citoyens face à la justice, au fil des comparutions immédiates et autres audiences correctionnelles et criminelles pour soutenir le principe de l’égalité de tous devant la loi. Le président du tribunal judiciaire de Paris a dû ainsi rappeler l’évidence, le 29 septembre sur France Inter : « J’ai l’impression que les uns et les autres découvrent la réalité de la justice de notre pays. Allez en comparution immédiate ! Tous les jours, des personnes sont incarcérées alors qu’elles peuvent faire appel, alors qu’elles sont dans le délai d’appel. Après le jugement, on n’est pas dans la question de la réitération ou la question des risques de pression, mais dans la question de la gravité exceptionnelle des faits. La motivation d’un mandat de dépôt avant le jugement et après le jugement n’est pas le même en procédure pénale. »
Depuis ce jugement du 25 septembre 2025 dans l’affaire dite « du financement libyen », et alors que deux des prévenus ont immédiatement été incarcérés et envoyés à la prison de la Santé dans la foulée du délibéré (dont il a été peu question dans ce brouhaha médiatique), s’est répandue l’idée que la prison devrait être réservée « aux personnes violentes et dangereuses ». Il a même été dit que, « concernant la délinquance politique et financière, elle intervient comme un châtiment psychologique, en rupture d’égalité devant les peines. Car, on n’est pas égaux face à l’incarcération ! »[1] Comme si l’incarcération n’était pas un châtiment psychologique pour toute personne qui entre en prison.
Une personne détenue se suicide tous les deux ou trois jours en France, ce qui atteste de l’atteinte psychologique consécutive à l’enfermement, quels que soient le motif de l’incarcération et la « qualité » de la personne enfermée. La surpopulation dans les maisons d’arrêt (qui accueillent les personnes en attente de jugement, donc toujours présumées innocentes), l’accès aux soins et aux dispositifs de réinsertion, sont autant de questions qui reviennent régulièrement dans l’actualité, par exemple lors de la publication des rapports de la contrôleure générale des lieux de privation de liberté, de la diffusion de photos de cafards et/ou rats dans les cellules et douches communes, etc. Pourtant, aucune réponse sérieuse et courageuse n’est jamais prise, sous la seule crainte d’accusation de laxisme. Les débats autour de l’enfermement méritent bien mieux que ces considérations de classe – parce que c’est bien cela dont il s’agit depuis près d’un mois. Au mépris du principe d’égalité devant la loi.
[1] Pierre-Olivier Sur – Actu juridique, 30 septembre 2025
