De l’exécution provisoire

Sous le feu de l’actualité, l’exécution provisoire n’a décidément pas bonne presse. Mais que revêt, en fait et en droit, l’exécution provisoire des décisions de justice ? Et de quelles décisions de justice parlons-nous ?

En matière civile, les décisions de justice sont, sauf si le juge en décide autrement, exécutoires à titre provisoire de plein droit, à l’inverse des décisions pénales. En effet, en application de l’article 708 du code de procédure pénale, « l’exécution de la ou des peines prononcées à la requête du ministère public a lieu lorsque la décision est devenue définitive ». Aussi, l’article 506 du même code prévoit que, durant l’instance d’appel, il doit être sursis à l’exécution du jugement. L’article 569 prévoit une règle similaire en matière de cassation : en principe, jusqu’au prononcé de l’arrêt de la Cour de cassation, il est sursis à l’exécution de l’arrêt de la cour d’appel sauf en ce qui concerne les condamnations civiles.

Mais le caractère suspensif de ces recours souffre d’une exception : l’exécution provisoire.

En application de l’article 471 alinéa 4 du code de procédure pénale, un certain nombre de sanctions pénales en matière correctionnelle peuvent être déclarées exécutoires par provision, en dépit des éventuels recours formulés par la partie concernée. Selon la Cour de cassation, « la faculté́ pour la juridiction d’ordonner l’exécution provisoire répond à l’objectif d’intérêt général visant à favoriser l’exécution de la peine et à prévenir la récidive. »

Les hypothèses dans lesquelles l’exécution provisoire peut être prononcée ont été multipliées au cours des dernières décennies. La loi n° 83-466 du 10 juin 1983 a notamment autorisé l’exécution provisoire de plusieurs peines de substitution à l’emprisonnement. Comme le relevaient les travaux parlementaires, « le fait que les peines de substitution, à l’exception de la peine de confiscation, ne puissent être assorties d’une possibilité́ d’exécution provisoire, constitue un obstacle à leur application, qui conduit souvent le juge à leur préférer une peine d’emprisonnement ».

Depuis la loi du 23 mars 2019, une variante du mandat de dépôt prononcée à l’issue de l’audience (ou « mandat de dépôt à la barre ») a été introduite : le mandat de dépôt à effet différé. Le tribunal qui décerne un mandat de dépôt à effet différé peut l’assortir d’une exécution provisoire dans trois situations :

  • S’il est saisi selon la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, ce qui suppose que le condamné reconnaisse les faits qui lui sont reprochés ;
  • S’il prononce une peine d’emprisonnement ferme de plus d’un an ;
  • Si les faits sont commis en état de récidive légale (article D45-2-1-1 code de procédure pénale).

Les statistiques du ministère de la Justice révèlent que moins de 5 % des peines alternatives à la détention, privatives ou restrictives de droit prononcées à titre principal ou complémentaire, ont été exécutées à titre provisoire. S’agissant de la peine d’inéligibilité, 6364 mesures ont été prononcées en 2023, dont seulement 4% ont été exécutées à titre provisoire. Pour autant, entre 86 et 88 % des peines de deux ans d’emprisonnement ferme et plus sont mises à exécution immédiatement à l’audience, et 58% des peines d’emprisonnement ferme ont été immédiatement exécutées en 2023.

Le 1er octobre dernier, une mission d’information sénatoriale a présenté son rapport, adopté à l’unanimité en commission des lois, consacré à la peine pénale et à son exécution. La mission dura six mois et pas moins de soixante-quinze professionnels, dont des magistrats et des avocats, furent auditionnés. Or le problème de l’exécution provisoire n’a jamais été abordé… « Ça n’a pas été un sujet, ni pour les magistrats, ni pour les avocats », abonde Dominique Vérien, l’une des sénatrices à la tête de cette mission. En revanche, le rapport souligne que les peines d’emprisonnement ferme sont privilégiées « parce que les magistrats n’ont pas une grande confiance dans les peines alternatives en milieu ouvert. » Et propose au bout du compte la création d’une « vraie peine probatoire », qui entraînerait « le placement immédiat du condamné en détention dès lors qu’il ne respecte pas les obligations et interdictions auxquelles il est soumis. »

Une exception pas si exceptionnelle donc, et qui n’a jamais fait couler beaucoup d’encre jusqu’à ce qu’elle s’applique à Nicolas Sarkozy ou à Marine Le Pen, tous deux fervents défenseurs de l’exécution provisoire et de l’incarcération immédiate.

 

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