De la restauration du lien de confiance dans la justice ordinaire

Un mardi d’octobre 2025, tribunal correctionnel de Bobigny, audience de 13 heures.

Il est 13 heures 37 quand la présidente entre dans une salle comble : « Mesdames, Messieurs, cette audience est calibrée sur 13 heures – et encore, sans compter les plaidoiries des avocats » prévient-elle en lançant un regard accusateur vers les bancs de la défense. Puis, sur un ton plus posé, presque empathique : « Je suis navrée de vous l’annoncer mais la quasi-totalité des affaires inscrites au rôle aujourd’hui concernent des violences intrafamiliales. Le tribunal a dû faire un choix : les dossiers sans enfants, et qui n’ont pas encore fait l’objet d’un renvoi, ne sont pas prioritaires. Ils seront donc renvoyés d’office. » C’est donc la plupart des dossiers qui seront renvoyés, mais le public ne réagit pas. Il faut dire que la présidente parle vite et que son micro ne fonctionne pas : l’absence de réaction tient sans doute moins à l’indifférence qu’à une incompréhension. Peut-être, après tout, pour le mieux.

Sans plus attendre, le premier dossier est appelé. Un homme costaud, la quarantaine, s’avance à la barre. La présidente résume la situation : « Vous l’avez compris, Monsieur, votre dossier ne sera pas jugé aujourd’hui mais à une audience ultérieure. » L’intéressé n’en semble pas contrarié. Il assure n’avoir rien à se reprocher et demande seulement à pouvoir envoyer des messages à sa compagne. Celle-ci vient justement de se faufiler depuis le fond de la salle pour s’asseoir discrètement sur le banc des parties civiles. « Ah, je vois qu’il y a la partie civile, vous avez compris, Madame ? », reprend la Présidente. Une bénévole de « SOS Victime » s’approche d’elle pour lui souffler quelques explications. La magistrate la coupe, visiblement pressée : « Le tribunal ne peut pas juger votre affaire aujourd’hui, nous allons convenir d’une nouvelle date. En attendant, votre mari souhaite pouvoir reprendre contact avec vous. Nous devons donc décider s’il peut le faire dans le cadre de son contrôle judiciaire. Qu’en pensez-vous ? Vous voulez qu’il puisse vous envoyer des messages ? » C’est la bénévole qui répond à sa place : « Madame est assistée par une avocate, mais elle n’est pas encore arrivée. Elle semble paniquée et, même si je n’ai pas tout compris, je n’ai pas l’impression qu’elle veuille que monsieur la contacte. La difficulté c’est qu’elle ne comprend pas le français. Elle dit qu’elle comprend mieux l’anglais, est-ce qu’on pourrait … »  Agacée, la Présidente la coupe : « Oui enfin, Madame, vous savez que je ne peux pas légalement parler à la partie civile en anglais… »Elle se tourne vers le prévenu : « Bon, après en avoir délibéré, le tribunal rejette votre demande et maintient votre contrôle judiciaire en l’état. Vous serez jugé le 6 septembre 2026. »

La justice ordinaire poursuit sa route, imperturbable. Dans la salle, personne n’a vraiment compris mais tout le monde a entendu : « Dossier suivant ». Un autre prévenu se lève et s’avance. Le lien de confiance, lui, reste à juger.

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