- Combien de temps a duré la procédure judiciaire ?
Fin 2012, le juge d’instruction Renaud Van Ruymbeke, alors saisi de l’instruction consacrée au volet financier du dossier Karachi, transmet au Procureur de la République un interrogatoire de Ziad Takieddine au cours duquel celui-ci affirme que la campagne présidentielle de 2007 de Nicolas Sarkozy aurait été financée sur des fonds libyens. Le 7 janvier 2013, une enquête préliminaire est ouverte. Takieddine est entendu par les enquêteurs le mois suivant et des perquisitions sont menées, notamment au domicile de Claude Guéant. Par réquisitoire introductif en date du 19 avril 2013, une information judiciaire est ouverte contre X des chefs de :
- corruption active et passive, trafic d’influence par des personnes exerçant une fonction publique,
- faux et usage de faux,
- abus de biens sociaux,
- blanchiment,
- recel et complicité de ces infractions.
Le 20 mars 2018, Nicolas Sarkozy est placé en garde à vue.
Le lendemain, à l’issue de son interrogatoire de première comparution, Nicolas Sarkozy est mis en examen des chefs de recel de détournement de fonds publics, de corruption passive, de financement illégal de campagne électorale. Fin janvier 2020, l’instruction est élargie, par réquisitoire supplétif, à l’infraction d’« association de malfaiteurs ». Le 12 octobre, Nicolas Sarkozy est mis en examen supplétivement du chef d’association de malfaiteurs. Le 25 août 2023, les juges d’instruction ordonnent le renvoi de Nicolas Sarkozy et de douze autres prévenus. La date du procès est fixée entre le 6 janvier et le 10 avril 2025 devant la 32ᵉ chambre du tribunal correctionnel de Paris.
- Pour quelles infractions Nicolas Sarkozy a-t-il été renvoyé devant le tribunal correctionnel de Paris ?
Les juges d’instruction ont renvoyé Nicolas Sarkozy devant le tribunal correctionnel de Paris des chefs de :
- association de malfaiteurs,
- corruption passive,
- financement illégal de campagne électorale,
- recel de détournement de fonds publics étrangers.
La période de prévention retenue court de 2006 à 2011, couvrant ainsi la préparation et le déroulement de la campagne présidentielle de 2007, ainsi que les flux financiers présumés liés à la Libye.
- Quelles étaient les peines encourues ?
Les peines d’emprisonnement encourues étaient les suivantes :
- dix ans pour l’association de malfaiteurs (article 450-1 du code pénal),
- dix ans pour la corruption passive (article 432-11 du code pénal),
- un an pour le financement illégal de campagne (article L.113-1 du code électoral),
- dix ans pour le recel de détournement de fonds publics étrangers (article 321-2 du code pénal).
- Qu’ont requis les procureurs à l’audience ?
Conformément aux dispositions des articles 458 et 460 du code de procédure pénale, les représentants du parquet national financier (PNF) ont requis à l’encontre de Nicolas Sarkozy une peine de sept ans d’emprisonnement ferme, assortie d’une amende de 300 000 euros et d’une peine complémentaire de cinq ans d’inéligibilité. Aucun mandat de dépôt, à effet différé ou non et avec exécution provisoire ou pas, n’a été requis.
- Quelle est la décision prise par le tribunal correctionnel à l’encontre de Nicolas Sarkozy ?
Par jugement du 25 septembre 2025, le tribunal a déclaré coupable Nicolas Sarkoy d’association de malfaiteurs et l’a relaxé des trois autres infractions.
Concernant la corruption passive, le tribunal a considéré que Nicolas Sarkozy avait agi, non comme ministre de l’Intérieur mais comme candidat, et qu’il n’était donc pas encore dépositaire de l’autorité publique.
Concernant le recel de détournement de fonds publics étrangers, le tribunal a constaté que ni le recel, ni la complicité de ce délit n’était punissable.
Concernant le financement illégal de la campagne électorale, le tribunal a considéré qu’il n’était pas établi que l’argent liquide provenait de fonds libyens.
Concernant l’association de malfaiteurs, le tribunal a considéré que l’infraction était constituée en ces termes : « L’association de malfaiteurs qu’il a constituée avec Claude Guéant, Brice Hortefeux et Ziad Takieddine avait pour objectif de préparer une corruption au plus haut niveau possible lorsqu’il serait élu président de la République, chargé de veiller au respect de la constitution et garant de l’indépendance nationale. Cette association a ainsi porté sur l’agrément d’un financement en provenance d’un État étranger en contrepartie du suivi du dossier pénal d’un homme condamné pour terrorisme et du maintien des relations avec la Libye. »
Nicolas Sarkozy est donc déclaré coupable d’avoir, entre 2005 et le 15 mai 2007, à Paris, sur le territoire national, et de manière indivisible aux Bahamas, au Panama, en Suisse, en Libye et au Liban, participé à un groupement formé ou une entente établie en vue de la préparation du délit de corruption active et passive d’agent public,
Après l’avoir déclaré coupable, le tribunal a condamné Nicolas Sarkozy à la peine de cinq années d’emprisonnement. Il a par ailleurs décerné un mandat de dépôt différé avec exécution provisoire à son encontre.
- Quelles sont les spécificités de l’infraction d’association de malfaiteurs ?
Un peu d’histoire…
L’association de malfaiteurs criminelle est née en 1810. Elle visait à l’origine des associations criminelles composée d’un nombre suffisant de membres (mais combien, le texte n’en disait rien), et précisait que les malfaiteurs devaient préparer la commission de plusieurs crimes. Un seul crime ne suffisait donc pas, et les délits étaient exclus de l’association de malfaiteurs.
La loi du 2 février 1981 dite « Loi sécurité & liberté » a correctionnalisé l’infraction et l’a étendue à la préparation d’un seul crime et de certains délits comme le vol aggravé. Sous le gouvernement de Pierre Mauroy, par une loi du 10 juin 1983, le ministre de la Justice, Robert Badinter, fait voter la suppression du délit d’association de malfaiteurs jugé liberticide. Trois ans plus tard et postérieurement aux attentats des mois de mars et avril 1986 à Paris, Jacques Chirac rétablit le délit par la loi du 9 septembre 1986.
Aujourd’hui
L’association de malfaiteurs, définie à l’article 450-1 du Code pénal, est une infraction dite « d’anticipation » : elle permet de sanctionner l’organisation criminelle en elle-même, indépendamment de la consommation des infractions projetées.
Elle est définie ainsi : « Tout groupement formé ou entente établie en vue de la préparation caractérisée par un ou plusieurs faits matériels d’un ou de plusieurs crimes ou délits. » Il est donc faux d’affirmer que l’association de malfaiteurs punit la seule intention (puisque le groupe doit être formé, l’entente établie, et la préparation des crimes ou des délits caractérisée), mais il est vrai que cette infraction est très large puisqu’elle incrimine le tout début du commencement d’exécution, bien en amont de la simple tentative notamment.
Dans l’affaire qui nous occupe, l’association de malfaiteurs n’exige pas de rapporter la preuve que des fonds libyens ont effectivement financé la campagne de 2007 : la participation à une entente en vue de commettre l’infraction suffit à caractériser le délit.
L’association de malfaiteurs est donc une infraction-obstacle : on punit en amont, avant que le crime projeté ne se réalise.
- La peine prononcée est-elle lourde ?
L’ancien président de la République encourait jusqu’à dix années d’emprisonnement. Le parquet avait requis sept ans à son encontre, tout en demandant au tribunal de déclarer Nicolas Sarkozy coupable des quatre infractions qui lui étaient reprochées, et pas seulement de l’association de malfaiteurs.
Le tribunal a justifié le quantum de la peine prononcée par l’« exceptionnelle gravité » des faits, « de nature à altérer la confiance des citoyens dans ceux qui les représentent et sont censés agir dans le sens de l’intérêt général, mais aussi dans les institutions même de la République. »
Le tribunal précise cependant avoir pris en considération l’absence d’antécédents de Nicolas Sarkozy au moment des faits, l’ancienneté des faits (vingt ans), et l’absence de mise en œuvre effective du pacte de corruption.
En sus de la peine d’emprisonnement, le tribunal a condamné l’ancien président de la République à une peine d’amende de 100 000 €, une interdiction d’exercer toute fonction publique pendant cinq ans, ainsi qu’à une peine d’inéligibilité pendant cinq ans, avec exécution provisoire.
- Les modalités d’exécution de la peine prononcée
Mandat de dépôt ou pas…
La décision du tribunal de décerner ou non un mandat de dépôt a trait à l’exécution de la peine, pas à la peine en elle-même. Le tribunal n’était pas obligé de décerner un mandat de dépôt, à effet différé ou non, contre Nicolas Sarkozy.
Le tribunal a d’ailleurs condamné plus sévèrement Claude Guéant (six ans d’emprisonnement) sans décerner de mandat de dépôt, estimant que son état de santé était « incompatible avec une incarcération ».
Le tribunal a en outre décerné deux mandats de dépôt : le premier contre Alexandre Djouhri (six ans d’emprisonnement) domicilié « à l’étranger » et ayant « adopté une stratégie de fuite », selon les juges ; le second contre Wahib Nacer (quatre ans d’emprisonnement) qui aurait usé d’une « stratégie d’évitement » tout au long de la procédure.
On le constate donc : un prévenu a été condamné moins sévèrement que Nicolas Sarkozy et a été arrêté à la barre, un autre l’a été plus sévèrement et est rentré chez lui après le délibéré. En l’espèce, le tribunal a motivé le mandat de dépôt décidé à l’encontre de Nicolas Sarkozy par « l’exceptionnelle gravité » des faits pour lesquels il est condamné et le « quantum prononcé », soit la peine de cinq ans d’emprisonnement. Cette peine, il est vrai, exclut toute possibilité d’aménagement ab initio, donc tout aménagement ordonné par le tribunal au moment du prononcé de la peine. L’article 723-15 du code de procédure pénale, dans sa version applicable aux faits antérieurs au 24 mars 2020, réservait en effet les aménagements ab initio aux peines d’emprisonnement inférieures ou égales à deux ans.
À effet différé ou pas… (article 464-2 du code de procédure pénale)
Il convient de rappeler que 85% des peines d’emprisonnement égales ou supérieures à cinq années sont immédiatement exécutées. Les juridictions estiment en effet qu’une telle peine doit, pour être efficiente, être exécutée sans attendre les voies et délais de recours. Depuis la loi du 23 mars 2019, lorsque le tribunal prononce une peine supérieure ou égale à six mois, le mandat de dépôt peut être à effet différé. Le dessein est clair : permettre l’exécution rapide des peines d’emprisonnement prononcées tout en évitant un trop brutal « choc carcéral ». Le justiciable a le temps d’organiser son incarcération, tant sur le plan professionnel que dans sa vie sociale et familiale, limitant ainsi les risques de perdre son logement, son travail ou sa famille. Le mandat de dépôt à effet différé interdit évidemment tout aménagement de peine, et repose sur un véritable contrat moral entre le justiciable et le parquet. Le justiciable est convoqué devant le procureur dans un délai d’un mois (D45-2-3 du CPP), lequel décide de la date de son incarcération dans un délai de quatre mois maximum (D45-2-4 du CPP). Si le justiciable se dérobe à son incarcération à la date fixée, le procureur de la République pourra mettre la peine à exécution en recourant à la force publique.
Dans l’affaire qui nous occupe, le tribunal a considéré que le mandat de dépôt décerné contre Nicolas Sarkozy devait être à effet différé pour trois raisons : 1) l’ancien président de la République a répondu à toutes les convocations ; 2) il a toujours été présent à l’audience ; 3) il doit pouvoir organiser sa vie professionnelle et personnelle avant sa mise à l’écrou. Nicolas Sarkozy est donc convoqué le 13 octobre 2025, et sera écroué avant le 13 février 2026.
Avec exécution provisoire ou pas…
Le mandat de dépôt différé peut être assorti de l’exécution provisoire, ce qui signifie que, nonobstant l’appel interjeté, le justiciable sera écroué. Le tribunal peut ordonner l’exécution provisoire du mandat de dépôt à effet différé dans trois cas :
Lorsque la procédure est une procédure dite de « plaider coupable » (sur reconnaissance préalable de culpabilité), ce qui implique que le condamné reconnaisse les faits qui lui sont reprochés ;
- Lorsque la peine est supérieure à un an ferme ;
- Lorsque le condamné est en état de récidive légale.
Si le mandat de dépôt à effet différé n’est pas assorti de l’exécution provisoire et que le justiciable fait appel de sa condamnation, il ne passe pas par la case prison avant que la cour d’appel n’ait statué.
En l’espèce, Nicolas Sarkozy n’est pas en récidive légale et ne reconnaît pas les faits qui lui sont reprochés. Il a en revanche été condamné à une peine de cinq ans d’emprisonnement, et le tribunal a ainsi justifié l’exécution provisoire du mandat de dépôt à effet différé : l’exécution provisoire est « indispensable pour garantir l’effectivité de la peine au regard de l’importance du trouble à l’ordre public causé par l’infraction. »
- Quelles sont les conséquences de l’appel interjeté par Nicolas Sarkozy ?
En principe, l’appel a un effet suspensif (article 506 du code de procédure pénale), ce qui bloque l’exécution de la peine jusqu’à la décision de la cour d’appel. Mais l’exécution provisoire décidée par le tribunal neutralise cet effet suspensif : la condamnation doit donc être exécutée en attendant l’examen de l’affaire par la cour d’appel de Paris.
Pour autant, Nicolas Sarkozy peut, dès le premier jour de son incarcération, demander à être remis en liberté sur le fondement de l’article 148-1 du code de procédure pénale. Sa demande sera examinée par la cour d’appel, plus précisément par la même formation de jugement que celle qui jugera le fond de son dossier en appel. En vertu de l’article 148-2 du code de procédure pénale, la cour d’appel saisie de la demande de mise en liberté de Nicolas Sarkozy doit statuer dans les deux mois.
Pour rejeter la demande de mise en liberté de Nicolas Sarkozy, la cour d’appel va devoir, en application de l’article 144 du code de procédure pénale, démontrer, « au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure », que la détention provisoire « constitue l’unique moyen de parvenir à l’un ou plusieurs des objectifs suivants et que ceux-ci ne sauraient être atteints en cas de placement sous contrôle judiciaire ou d’assignation à résidence avec surveillance électronique :
- Conserver les preuves ou les indices matériels qui sont nécessaires à la manifestation de la vérité ;
- Empêcher une pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ;
- Empêcher une concertation frauduleuse entre la personne mise en examen et ses coauteurs ou complices ;
- Protéger la personne mise en examen ;
- Garantir le maintien de la personne mise en examen à la disposition de la justice ;
- Mettre fin à l’infraction ou prévenir son renouvellement ».
Il ne faut donc pas confondre la décision d’un tribunal de première instance de décerner un mandat de dépôt, qui a trait à l’exécution de la peine prononcée, et la décision d’une cour d’appel saisie d’une demande de mise en liberté, qui ne statue pas sur la modalité d’exécution d’une peine mais sur la détention provisoire d’un justiciable présumé innocent dans l’attente de son jugement définitif.
- Dans quel délai se tiendra l’audience d’appel ?
Aux termes de l’article 509-1 du code de procédure pénale, le prévenu doit comparaître devant la cour d’appel dans un délai de quatre mois à compter, soit de l’appel si le prévenu est détenu, soit de la date à laquelle le prévenu a été ultérieurement placé en détention provisoire, en application de la décision rendue en premier ressort.
Toutefois, si l’audience sur le fond ne peut se tenir avant l’expiration de ce délai de quatre mois, le président de la chambre peut, à titre exceptionnel, par une décision mentionnant les raisons de fait ou de droit faisant obstacle au jugement de l’affaire, ordonner la prolongation de la détention pour une nouvelle durée de quatre mois. Cette décision peut être renouvelée une fois dans les mêmes formes.
Le délai de quatre mois est porté à six mois si un des faits constitutifs de l’infraction a été commis hors du territoire national, ce qui est le cas ici puisque Nicolas Sarkozy est condamné pour avoir commis le délit d’association de malfaiteurs sur le territoire national « et, de manière indivisible, aux Bahamas, au Panama, en Suisse, en Libye et au Liban ».
Si le prévenu n’a pas comparu devant la cour d’appel avant le délai de 18 mois, il est remis immédiatement en liberté. Ainsi et en tout état de cause, Nicolas Sarkozy sera incarcéré pour une durée maximale de 18 mois, au titre de la détention provisoire.
CONCLUSION
« Ce qui s’est passé aujourd’hui dans cette salle du tribunal correctionnel de Paris est d’une gravité extrême pour l’État de droit (…) » a assuré Nicolas Sarkozy, allant jusqu’à asséner que « toutes les limites de l’État de droit ont été violées ». C’est pourtant l’exact contraire : l’État de droit se caractérise par le respect de la hiérarchie des normes, l’égalité des citoyens devant la loi et la séparation des pouvoirs.
Chantre du discours sécuritaire, Nicolas Sarkozy a fustigé tout au long de sa carrière les « voyous » et la « racaille », et a piétiné la présomption d’innocence dans des sorties parfois indignes, par exemple lors de l’affaire Colonna : « La police française a arrêté Yvan Colonna, l’assassin du préfet Érignac », avait-il déclaré avant même que toute décision de justice soit prise.
L’ancien ministre de l’Intérieur et président de la République appartient à cette famille politique qui n’a eu de cesse, ces deux dernières décennies, de maltraiter une justice prétendument trop laxiste et d’appeler à toujours plus de répression, de fermeté et d’incarcérations. Dans son sillon, l’actuel garde des Sceaux, pour qui Nicolas Sarkozy fait figure de mentor, appelait encore il y a quelques mois à « taper fort dès les premiers faits », assénant que « si on est condamné en France à six mois de prison, on doit aller six mois en prison. »
Nicolas Sarkozy, toujours présumé innocent, va rejoindre les vingt mille prisonniers français présumés innocents qui dorment en prison. Un justiciable comme les autres, confronté à la violence judiciaire qui n’épargne personne dans notre État de droit.