
L’abolition de la peine de mort n’est pas un acquis définitif, et cette avancée fondamentale ne serait pas totale si elle devait trouver son substitut dans l’allongement sans fin de la période de sûreté. C’est pourquoi, dans son célèbre discours, et on l’a un peu oublié aujourd’hui, Robert Badinter traitait ces deux sujets ensemble : « Le projet n’offre aucune disposition concernant une quelconque peine de remplacement. Pour des raisons morales d’abord : la peine de mort est un supplice, et l’on ne remplace pas un supplice par un autre. Pour des raisons de politique et de clarté législatives aussi : par peine de remplacement, l’on vise communément une période de sûreté, c’est-à-dire un délai inscrit dans la loi pendant lequel le condamné n’est pas susceptible de bénéficier d’une mesure de libération conditionnelle ou d’une quelconque suspension de sa peine. Une telle peine existe déjà dans notre droit et sa durée peut atteindre dix-huit années. » Il semble donc indiquer ici qu’une période de sûreté de dix-huit ans semble suffire, et donc qu’un allongement de cette durée serait de nature à instaurer une peine de remplacement à la peine capitale.
Au moment où il prononce ce discours, le Garde des Sceaux ne souhaite pas que le débat se concentre sur la période de sûreté. Il laisse cependant la porte ouverte, en vue d’éventuels futures discussions : « Si je demande à l’Assemblée de ne pas ouvrir, à cet égard, un débat tendant à modifier cette mesure de sûreté, c’est parce que, dans un délai de deux ans – délai relativement court au regard du processus d’édification de la loi pénale –, le Gouvernement aura l’honneur de lui soumettre le projet d’un nouveau code pénal, un code pénal adapté à la société française de la fin du XXème siècle et, je l’espère, de l’horizon du XXIème siècle. À cette occasion, il conviendra que soit défini, établi, pesé par vous ce que doit être le système des peines pour la société française d’aujourd’hui et de demain. C’est pourquoi je vous demande de ne pas mêler au débat de principe sur l’abolition une discussion sur la peine de remplacement, ou plutôt sur la mesure de sûreté, parce que cette discussion serait à la fois inopportune et inutile. Inopportune parce que, pour être harmonieux, le système des peines doit être pensé et défini en son entier, et non à la faveur d’un débat qui, par son objet même, se révèle nécessairement passionné et aboutirait à des solutions partielles. »
Si le projet de loi promis ne sera finalement pas déposé, le débat sur l’allongement de la période de sûreté, lui, aura bien lieu. Et plutôt quatre fois qu’une.
– En 1986, la période de sûreté est portée à trente ans.
– En 1994, après le meurtre d’une fillette, la période de sûreté incompressible fait son apparition dans le code pénal, avant d’être étendue à mesure que des crimes susciteront l’émotion de l’opinion publique et l’instrumentalisation des politiques.
– En 2011, après le meurtre d’un policier, elle est instaurée pour les auteurs de crimes contre les personnes dépositaires de l’autorité publique.
– Enfin, après les attentats de 2015, le législateur décide de son application aux auteurs de crimes terroristes.
Alors que Robert Badinter vient de recevoir les hommages de la nation, il est bon de rappeler que lui-même déplorait en ces termes l’allongement de la période de sûreté : « J’ai refusé absolument la substitution à la peine de mort d’une peine qui, à l’époque, n’était rien d’autre qu’une peine incompressible. J’ai refusé absolument, dans la rédaction du nouveau code pénal, les peines qui soient des peines de sûreté. Cela n’a jamais cessé d’augmenter. »
