L’accord franco-algérien à l’épreuve de la politique : la hiérarchie des normes renversée

L’Assemblée nationale a connu le 30 octobre dernier une journée historique : pour la première fois, à une voix près, les députés ont adopté une proposition de résolution du Rassemblement national visant à dénoncer l’accord franco-algérien de 1968. Si ladite résolution ne produit aucun effet juridique direct, sa portée politique est évidemment immédiate : le Premier ministre s’est empressé d’annoncer une volonté de « renégocier » l’accord, s’inscrivant dans la continuité des offensives déjà menées par les anciens locataires de la place Beauvau, Gérald Darmanin et Bruno Retailleau.

Ce tournant n’est pas qu’un débat politique : il marque une remise en cause frontale de la hiérarchie des normes, selon laquelle, en application de la Constitution, un traité international dûment ratifié (tel l’accord franco-algérien) s’impose à la loi et aux règlements internes. Cette primauté garantit la stabilité et la prévisibilité du droit tout en protégeant contre les dérives politiques.

Signé le 27 décembre 1968, l’accord entre la France et l’Algérie organise la circulation, le séjour et l’emploi des ressortissants algériens et de leurs familles en France. Loin d’être immuable, il a déjà été révisé à trois reprises (1985, 1994, 2001) pour rapprocher ses dispositions du droit commun tout en préservant une approche bilatérale. Mais aujourd’hui, la majorité parlementaire et ministérielle trahit cette architecture juridique : on fustige l’accord comme un « privilège » migratoire, sans égards pour les statistiques qui démontrent une nette progression de la réadmission en Algérie et de l’expulsion des ressortissants algériens ces dernières années (la nationalité algérienne figure désormais à la première place des éloignements exécutés selon la direction générale des étrangers en France).

Un bilan insuffisant pour Gérald Darmanin qui, via la loi du 26 janvier 2024, a introduit la possibilité de refuser un visa à tout Algérien en cas de « coopération insuffisante » de son État d’origine en matière de réadmission ou en cas de non-respect d’un accord bilatéral ou multilatéral de gestion des flux migratoires (article L. 312-1-1 CESEDA et L. 312-3-1 du CESEDA).

Arrivé au ministère de l’intérieur, Bruno Retailleau décide de faire des relations entre la France et l’Algérie son cheval de bataille et signe une circulaire le 14 mai 2025 (non publiée) baptisée « suspension des facilités accordées et procédures sur décision de l’autorité publique aux ressortissants algériens » afin d’inviter les préfets à durcir leur appréciation sur les demandes de titre de séjour (appelés « certificat de résidence » pour les Algériens) présentées par les ressortissants algériens.

Ce texte leur demande, tout d’abord, d’appliquer strictement les règles d’instruction prévues dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) aux premières demandes de certificats de résidence présentées par des personnels consulaires algériens. De plus, la circulaire suggère d’appliquer les critères de la circulaire Retailleau dans le cadre d’une demande d’admission exceptionnelle au séjour d’un ressortissant algérien. Pour finir, estimant qu’aucun accord bilatéral formalisé ne prévoit l’échange de permis de conduire algérien contre un permis de conduire français, le ministre demande aux préfets de suspendre toute procédure d’échange.

Les autorités administratives sont ainsi sommées d’appliquer le CESEDA à la place du traité international, au mépris du principe de supériorité de la norme internationale.

Mais l’épisode le plus significatif est venu du juge lui‑même. Par un avis du 28 octobre 2025 (n° 504980), le Conseil d’État consacre la possibilité de refuser le renouvellement d’une carte de résident à un Algérien pour motif d’ordre public, brisant la jurisprudence constante qui imposait l’automaticité de ce renouvellement en vertu de l’accord. Via un avis, la plus haute juridiction administrative renverse sa propre jurisprudence et fait ce que le pouvoir politique n’osait pas tenter frontalement : vider le traité de sa substance.  En somme, sous couvert d’impératifs politiques, on assiste à une inversion du principe cardinal de la primauté des normes internationales. Si le gouvernement n’a pas besoin d’abroger formellement l’accord pour qu’il cesse de produire ses effets, c’est toute la fonction protectrice de la hiérarchie des normes qui vacille, ouvrant la porte à l’incertitude et à l’arbitraire, au détriment de la sécurité juridique et du respect de l’État de droit.

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