La fabrique institutionnelle des sans-papiers

Juste avant de quitter le gouvernement, et estimant que cela relevait des « affaires courantes », Bruno Retailleau a signé un arrêté qui instaure un examen civique obligatoire pour toute personne demandant une carte de séjour pluriannuelle, une carte de résident ou la nationalité française. Un nouvel outil destiné à précariser les ressortissants étrangers et, une fois de plus, à complaire aux électeurs du Rassemblement national. L’examen des modalités démontre en effet que l’enjeu n’est pas d’accompagner les naturalisations ou le séjour longue durée, mais bien de les empêcher.

Rappelons qu’un ressortissant étranger non-européen peut résider légalement en France sous couvert d’un titre de séjour temporaire, valable un an, ou d’un titre de séjour valable plusieurs années (appelé « carte de séjour pluriannuelle » ou « carte de résident »), à condition de remplir certaines exigences.

Des préfectures qui précarisent

Obtenir un titre valable pour plusieurs années est d’ailleurs devenu le seul rempart face aux dysfonctionnements persistants des préfectures et aux risques qu’ils engendrent. À titre d’exemple, la préfecture des Hauts-de-Seine compterait ainsi plus de dix-sept mille titres fabriqués mais non distribués, faute de personnel. Ce sont ainsi pas moins de dix-sept mille personnes devant être sécurisées dans leur renouvellement qui attendent fébrilement un titre auquel elles ont droit mais qu’on ne leur délivre pas. Il arrive même que des préfectures remettent des titres déjà périmés, tant elles ont tardé à les remettre.

Pire, la dématérialisation, censée simplifier la vie des usagers, aggrave encore la situation. Les plateformes préfectorales permettent de renouveler un titre de séjour valable un an, mais pas de demander une carte pluriannuelle ou de résident. Et si certains tentaient leur chance par voie postale, l’avis du Conseil d’État du 10 octobre 2024 (n° 493514) a définitivement enterré cette possibilité.

Dès lors, il est fréquent, pour le titulaire d’un titre de séjour d’une durée de validité d’une année, d’être contraint de solliciter le renouvellement de son titre de séjour dès réception de celui-ci…

Un examen civique excluant

En instaurant une condition de réussite à un examen civique, l’arrêté Retailleau vient pourtant encore complexifier la délivrance d’un titre de plus d’un an ou la naturalisation. Le contenu du programme pose de multiples questions, par ses choix comme par ses silences  : la Shoah, la Résistance, les dates de la Ve République – mais pas un mot sur le régime de Vichy ni sur la guerre d’Algérie. De plus, avec un taux de réussite exigé de 80 %, ce n’est plus un examen d’intégration mais un authentique filtre d’exclusion.

Passons sur le fait qu’on exige d’un nouvel arrivant demandant une carte pluriannuelle les mêmes connaissances qu’une personne installée de longue date et qui souhaiterait être naturalisée… Mais au-delà de cette incongruité, est-on certain que tout Français pourrait à coup sûr nommer les six régions les plus peuplées, développer un propos serein sur l’organisation internationale de la Francophonie, rappeler la durée des principaux mandats électifs ou les principales étapes de la construction européenne ? Le problème se poserait peut-être différemment si des moyens d’accompagnement, associatifs ou autres, étaient prévus, mais, évidemment, rien n’est organisé en ce sens.

La fabrique à sans-papiers

Surtout, lu à la lumière de la loi du 26 janvier 2024, adoptée conjointement par le camp présidentiel et l’extrême-droite, le dispositif devient redoutable. L’article L. 433‑1‑1 du CESEDA prévoit désormais qu’un titre de séjour temporaire ne peut être renouvelé plus de trois fois pour le même motif. En clair : échouer à ce test civique, c’est voir sa situation basculer dans l’irrégularité après trois années de vie en France.

Désormais, l’étranger doit tout tenter, à commencer par l’impossible : déposer sa demande de titre de séjour valable plus d’une année ou de naturalisation en ligne, réussir un examen civique calibré pour l’échec, et survivre au désert administratif. Ce n’est plus un parcours du combattant, c’est une fabrique institutionnelle de sans‑papiers.

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