Aux termes du premier alinéa de l’article 11 du code de procédure pénale, « Sauf dans le cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l’enquête et de l’instruction est secrète. » Dans une décision du 2 mars 2018, le Conseil constitutionnel a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution. Il soulignait qu’elles visaient d’une part à garantir le bon déroulement de l’enquête et de l’instruction, d’autre part à protéger les personnes concernées, afin d’assurer le respect de la vie privée et de la présomption d’innocence – principe consacré par les articles 2 et 9 de la Déclaration de 1789.
En 2019, à l’issue d’une mission parlementaire d’information sur le secret de l’enquête et de l’instruction, les rapporteurs constataient que ce secret, bien que fondamental pour la justice et les droits individuels, se trouvait affaibli par la pression médiatique, les exigences de transparence et l’évolution d’une presse de l’immédiat. En dépit des graves conséquences pouvant en résulter tant pour les personnes que pour les procédures, ils relevaient que les violations quotidiennes du secret de l’enquête et de l’instruction n’étaient quasiment jamais sanctionnées tant en raison des difficultés à établir l’origine des fuites que des protections reconnues par la loi et la jurisprudence française et européenne à la liberté de la presse et au secret des sources.
Face à ce constat, les rapporteurs proposaient d’inscrire dans la loi à la fois l’affirmation d’un droit général à l’information dans les termes posés par la jurisprudence, et les objectifs de valeur équivalente que le secret de l’enquête et de l’instruction est chargé de protéger : autorité et impartialité de la justice, effectivité de l’enquête pénale, protection des personnes, droit de toute personne à la présomption d’innocence, à la protection de sa vie privée à la dignité. Ils recommandaient aussi de renforcer la répression, de moderniser la communication de la justice et posaient la question de la mise en place d’un conseil de déontologie des journalistes.
Ce rapport n’est pas resté lettre morte, mais presque. Au motif d’améliorer la protection de la présomption d’innocence, la loi du 22 décembre 2021 a modifié et renforcé la répression. L’article 434-7-2 du code pénal sanctionne désormais de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende la révélation sciemment, par une personne dépositaire du secret, d’informations issues d’une enquête ou d’une instruction en cours.
Près de quatre ans plus tard, une seule chose est certaine : la loi n’est ni respectée ni appliquée, les fuites se multiplient et alimentent sur les réseaux sociaux une « justice » en place publique, plus prompte à juger qu’à comprendre. Le seul dépôt d’une plainte confère aux plaignants le statut de victimes et les mis en cause sont condamnés, bannis et exclus avant tout procès au nom d’une bien-pensance qui piétine sans état d’âme la présomption d’innocence.
Dans un article publié le 29 septembre 2025 dans La Revue des Médias sous le titre « Tout sera dans la presse : le secret de l’instruction à l’épreuve du tourbillon médiatique », la journaliste Clara Lainé s’interroge sur la déontologie des journalistes : « Entre intérêt public, voyeurisme et risque d’instrumentalisation, comment arbitrer ? » Pour les journalistes interrogés, le secret de l’enquête et de l’instruction n’est pas un obstacle mais une simple composante du jeu médiatique : « Une information se négocie, s’échange », confie l’un d’eux. Une audition pour recel de violation du secret de l’instruction – toujours aussi exceptionnelle – est perçue comme une forme de consécration professionnelle. L’important est la protection des sources et la nécessité d’informer le public toujours plus vite, si possible en étant le premier quitte à diffuser une fausse information que le procureur corrigera. Aucun ne mentionne la présomption d’innocence ni aucune des finalités du secret de l’enquête et de l’instruction que les rapporteurs en 2019 voulaient inscrire dans la loi. La prudence n’est plus de mise, le cynisme affleure, et l’on pense à ce mot prêté à Pierre Lazareff : « Une rumeur, un démenti = deux informations. »
Dans son Dictionnaire amoureux du Journalisme (Plon), Serge July écrit : « En principe les journalistes sont là pour vérifier et faire le tri. Mais il y a plus de clients pour les légendes que pour les vérités. Les bidonneurs pratiquent un journalisme imaginaire. Les uns par précipitation, par imprudence, par manque de vérification et les autres, les bidonneurs de vocation qui inventent en toute connaissance de cause. » Or, quand la vérification recule et que le contradictoire s’éteint, il ne reste plus que le vacarme. La rumeur devient récit, le soupçon fait sentence. Sous couvert de transparence, c’est la justice qu’on assassine, et la vérité qu’on sacrifie à la vitesse.
Le secret de l’enquête et de l’instruction n’est pas un voile sur la vérité : il en est la condition. Sans ce temps du silence, sans cette rigueur du doute, sans la protection de la loi, n’importe quel citoyen peut être cloué au pilori d’un clic, sans preuve ni défense.