AME : la censure et le déshonneur

Quelques jours avant la chute de son gouvernement, François Bayrou a bouclé la boucle : lui qui, en 2012, avait justifié son vote en faveur de François Hollande par refus de « la course-poursuite à l’extrême droite de Nicolas Sarkozy », a annoncé vouloir restreindre l’Aide Médicale d’État (AME), reprenant ainsi les refrains qu’il dénonçait jadis. 

L’AME, faut-il le rappeler, est un dispositif d’accès aux soins destiné aux étrangers en situation irrégulière. Mais à force de remâcher des sermons sur les « profiteurs », certains ont oublié que le bénéfice de cette aide n’avait rien d’automatique : elle requiert notamment trois mois de résidence en France et des ressources inférieures à un certain seuil. En outre, nombre d’étrangers, pour lesquels cette aide est bien loin d’être un passe-droit, se heurtent à des obstacles très souvent insurmontables : délais de carence, temps d’instruction, plafonds de revenus, défaut d’accès à un assistant social, etc. 
De surcroît, la majorité des étrangers en situation irrégulière sur le territoire français travaillent (c’est d’ailleurs le seul moyen pour elles de pouvoir espérer une régularisation). Aussi versent-ils des cotisations sociales sans bénéficier de droits ouverts à une prise en charge par la Sécurité sociale tout en étant exclus du filet de secours de l’AME, précisément en raison de leurs ressources. Surtout, face à des préfectures qui font office de véritables machines à fabriquer des sans-papiers, l’AME a fini par devenir un radeau bricolé pour ceux qui, privés de récépissé, n’ont, de ce fait, pas droit à la Sécurité Sociale – la vraie.

Le projet gouvernemental contenait un arsenal de mesures déjà bien identifiées : multiplication des pièces justificatives, prise en compte des ressources du conjoint, allongement des délais de carence jusqu’à neuf mois pour certaines prestations. Autrement dit un « pied dans la porte » vers une suppression de fait, au profit d’une aide réduite aux seuls soins urgents, telle que voulue par Bruno Retailleau. 
La communication officielle invoquait la lutte contre la fraude. Mais les faits sont têtus : le Rapport Stefanini-Evin rappelle ainsi que les dossiers AME sont déjà les plus scrutés de l’administration, que son budget représente à peine 0,5 % des dépenses globales de santé, et les anomalies moins de 3 %. Une goutte d’eau. Et un nombre pour le moins insignifiant de fraudes dans l’océan des exclusions (le taux de non-recours est de 50 %).
Le rapport rappelait également que le fait de limiter l’accès aux soins des étrangers aurait pour conséquence directe d’entraîner une dégradation de leur état de santé, donc, plus globalement, celui de la population tout entière. 

Afin de faire aboutir ce projet avant qu’il ne chute, le gouvernement avait saisi en urgence la présidence de la CNAM pour obtenir son avis (consultatif, donc non contraignant), avis attendu le lendemain du vote de confiance. Mais l’édifice s’est effondré avant que la mécanique ne s’enclenche et, en tombant, le gouvernement a préféré retirer à la hâte sa demande d’avis, jugeant que cela ne relevait pas des « affaires courantes ». Ainsi se referme cet épisode : sur un geste de François Bayrou qui, non content de mettre un terme à sa carrière de Premier ministre, aura, in fine, fait entendre les accents de l’extrême droite qu’il prétendait pourtant combattre.

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