À propos de l’innocence : ce que feint d’ignorer Cécile Duflot

Il y a quelques jours, sur l’antenne de RTL, Cécile Duflot, ancienne ministre, évoquant la décision de non-lieu rendue au bénéfice de l’humoriste Ary Abittan, déclarait : « On ne peut pas être blanchi ou reconnu innocent quand il n’y a pas de procès. » Ce propos réducteur, artificiellement bienveillant à l’égard des victimes, est dangereux pour l’État de droit et oblige à rappeler ce que Mme Duflot feint d’ignorer.

Le droit français prévoit explicitement des mécanismes juridictionnels permettant de constater l’absence d’infraction ou l’absence de charges indépendamment de tout procès pénal au fond. Tel est le cas du classement sans suite et de l’ordonnance de non-lieu.

Le classement sans suite est une décision du procureur de la République qui intervient lorsque, après enquête, le ministère public estime qu’aucune infraction n’est caractérisée, que les éléments de preuve sont insuffisants, ou que l’exercice de l’action publique n’apparaît pas opportun. Lorsqu’il est motivé par l’absence d’infraction ou l’absence totale de charges, ce classement signifie concrètement qu’aucun élément ne permettait de considérer la personne comme auteur de l’infraction. Le plaignant dont la plainte a été classée sans suite conserve la possibilité de déposer plainte avec constitution de partie civile afin qu’un juge d’instruction soit désigné. Ainsi, de plus vastes investigations seront menées sous le contrôle d’un magistrat indépendant, auxquelles le plaignant, constitué partie civile, aura accès. À l’issue de l’information judicaire, le dossier est communiqué au Procureur pour ses réquisitions, et les parties peuvent présenter des observations, avant que le juge d’instruction décide du renvoi ou non de la personne mise en cause devant un tribunal ou une cour d’assises. C’est en effet le juge d’instruction qui « examine s’il existe contre la personne mise en examen des charges constitutives d’infraction, dont il détermine la qualification juridique » (article 176 du code de procédure pénale). S’il « estime que les faits ne constituent ni crime, ni délit, ni contravention, ou si l’auteur est resté inconnu, ou s’il n’existe pas de charges suffisantes contre la personne mise en examen, il déclare, par une ordonnance, qu’il n’y a lieu à suivre […] Les personnes mises en examen qui sont provisoirement détenues sont mises en liberté. L’ordonnance met fin au contrôle judiciaire » (article 177 du CPP). La décision de non-lieu peut être contestée par un appel devant la chambre de l’instruction.

Intervenant à l’issue d’investigations approfondies, conduites sous contrôle juridictionnel, le non-lieu revêt une portée plus forte qu’un classement sans suite. Il écarte juridiquement la culpabilité : le juge constate que les éléments du dossier ne permettent pas de renvoyer la personne devant une juridiction de jugement. Lorsqu’il est fondé sur l’absence d’infraction ou l’absence totale de charges, il constitue une constatation judiciaire d’absence de responsabilité pénale. Dès lors, soutenir que seule une relaxe ou un acquittement permettrait d’être reconnu innocent revient implicitement à considérer qu’une personne pourrait rester durablement suspecte alors même que l’État, investi de pouvoirs d’enquête étendus, n’a retenu aucune charge contre elle. Une telle conception heurte frontalement le principe fondamental de présomption d’innocence, garanti tant par la Convention européenne des Droits de l’Homme que par le droit interne. La présomption d’innocence implique qu’en l’absence de charges suffisantes, la personne est et demeure juridiquement innocente. L’idée selon laquelle il faudrait un procès pour être « blanchi » inverse ce principe en créant une présomption socialement défavorable.

Un tel discours fragilise en outre la confiance dans les institutions judiciaires. Suggérer qu’une décision de non-lieu ou un classement motivé pour absence d’infraction serait dénué de toute valeur en termes de reconnaissance d’innocence, revient à affaiblir la légitimité du ministère public et de l’autorité judiciaire. Cela alimente l’idée selon laquelle seule la mise en scène d’un procès permettrait d’établir l’innocence, alors même que l’État de droit repose sur l’efficacité, la rigueur et la crédibilité des enquêtes, le contrôle juridictionnel et la motivation des décisions. Cette affirmation est donc juridiquement erronée et institutionnellement dangereuse. Dans un État de droit, la présomption d’innocence et la protection des victimes ne sont pas antagonistes.

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