
Il n’y aura guère eu qu’Éric Zemmour et Marion Maréchal pour vilipender la toute récente panthéonisation de Robert Badinter. Au nom, pour la responsable d’extrême droite, « de toutes les victimes du laxisme d’État », et en étrillant celui qui aurait « aboli la peine de mort pour les criminels endurcis, mais pas pour les victimes ». Le tag profanateur de la sépulture de l’ancien Garde des Sceaux à Bagneux (« les assassins, les pédos, les violeurs, la République le sanctifient »), se voudrait un écho au discours populiste selon lequel Robert Badinter aurait sacrifié les victimes au profit des « criminels ». C’est oublier opportunément que le passage de l’ancien avocat à la Chancellerie (1981/1986) aura consacré des avancées fondamentales en matière d’indemnisation et d’accompagnement des victimes, alors encore reléguées à la place de parent pauvre du procès pénal.
Ainsi la loi du 8 juillet 1983 « renforçant la protection des victimes d’infractions » a-t-elle élargi leur indemnisation aux préjudices sans conséquences pécuniaires, à l’époque limitée aux répercussions strictement matérielles d’une infraction, et ouvert la voie à l’indemnisation des victimes de certaines infractions à caractère sexuel.
Quant à la loi du 5 juillet 1985, dite « loi Badinter », elle a considérablement amélioré le sort des victimes d’accidents de la route, piétons, cyclistes ou simples passagers, en rendant obligatoire leur indemnisation par le conducteur ou son assureur, grâce à des mécanismes de réparation rapides, obligatoires et exhaustifs.
Dans la continuité de ce mouvement, la loi du 9 septembre 1986, votée à la suite de la vague d’attentats du début des années 1980, a créé le Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme chargé de l’indemnisation des dommages corporels consécutifs à un acte de terrorisme, grâce à un financement par contribution obligatoire sur les contrats d’assurance des biens. Quatre ans plus tard, la compétence de ce fonds, devenu « Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme et autres infractions », sera étendue à l’indemnisation des victimes d’infractions de droit commun, institution désormais incontournable de la prise en charge des victimes.
Enfin, sous l’impulsion de Robert Badinter, les victimes sont également mieux accompagnées, mieux écoutées et soutenues depuis la création, également en 1986, du réseau national d’aide aux victimes. Qui comprend dorénavant par moins de cent trente associations réparties sur le territoire français, dans lesquelles les professionnels (accueillants, psychologues, travailleurs sociaux, etc.) offrent aux victimes une prise en charge pluridisciplinaire, durable et gratuite.
Prétendre que les victimes d’infractions ont pâti du passage de Robert Badinter au ministère de la Justice est donc un mensonge absolument éhonté. Il ne résiste pas à l’examen des faits. Et à ceux qui trouveraient politiquement profitable d’opposer la société des victimes à celle des auteurs d’infractions, il ne faut pas se lasser de répondre que son action aura été guidée par l’humanisme au profit de tous.
