Du mauvais usage de la détention provisoire

Au beau milieu de l’été, Gérald Darmanin, ministre de la Justice, a posté sur X un commentaire aussi mensonger que racoleur après que le Parisien a consacré un article au placement sous contrôle judiciaire de deux mis en examen soupçonnés d’avoir agressé sexuellement des mineurs. « Une décision qui choque une partie de l’opinion publique », se plait à préciser l’article en question. Or l’opinion publique, ce fanion privilégié des populistes, n’est rien d’autre que ce que l’on en dit – et ce que l’on en fait. Avant qu’elle ne vienne tirer le juge par la manche, encore faut-il l’avoir fabriquée de toutes pièces afin de mieux faire valoir son émoi et sa colère. L’article du Parisien ayant fait son œuvre, notre garde des Sceaux n’avait plus qu’à en récolter les fruits.

« La loi ne permet pas de placer certains individus en détention provisoire, alors que les faits qu’ils ont commis choquent profondément les Français et que nous devons protection aux enfants. C’est le cas de l’infirmière qui aurait agressé sexuellement des nourrissons. Avec le texte de loi que je propose, ces individus pourront être mis hors d’état de nuire dès leur mise en examen », assure-t-il. De tels propos violent le droit au respect de la présomption d’innocence des justiciables qui « ont commis » les faits et « doivent être mis hors d’état de nuire dès leur mise en examen ». Mais pas tous, n’exagérons pas : dix jours plus tôt, à l’annonce du renvoi devant un tribunal correctionnel pour corruption et trafic d’influence de sa collègue et ancienne garde des Sceaux, Rachida Dati, Gérald Darmanin avait salué « une grande femme politique » et souhaité « ardemment qu’elle soit maire de Paris ».

L’article 137 du code de procédure pénale pose le principe selon lequel, avant tout jugement au fond, la liberté est la règle, et la détention l’exception. Pourtant, plus du quart des prisonniers en France sont présumés innocents et attendent leur jugement en maisons d’arrêt, où le taux d’occupation avoisine les 160 %. Le garde des Sceaux sait que la détention provisoire est possible pour les délits punis d’au moins trois ans d’emprisonnement, ainsi que pour les crimes. Il connaît, tout comme le procureur qui a requis le placement en détention provisoire des « deux suspects », les critères de façade prévus à l’article 144 du code de procédure pénale sur lesquels le juge des libertés et de la détention peut se fonder pour ordonner ou prolonger la détention provisoire : la détention provisoire est possible pour délits punis d’au moins trois ans d’emprisonnement, ainsi que pour les crimes. L’article 144 du code de procédure pénale énumère les critères de façade sur lesquels le juge des libertés et de la détention peut se fonder pour ordonner ou prolonger la détention provisoire : nécessité de conserver les preuves et indices matériels, d’empêcher toute pression sur les témoins, les victimes ou leur famille, de prévenir toute concertation entre les mis en examen, les coauteurs ou les complices, de protéger le mis en examen et de garantir son maintien à la disposition de la Justice, de mettre fin à l’infraction ou de devancer son éventuel renouvellement, enfin, pour les crimes, de mettre fin au trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public. Il sait que ces critères confortables, malléables et extensifs à souhait, permettent l’incarcération de tout mis en examen, quelles que soient sa situation sociale, familiale ou personnelle, son passé judiciaire ou ses garanties de représentation.

En 2023, 651 demandes d’indemnisation de détentions provisoires injustifiées ont été enregistrées par les cours d’appel, la durée moyenne de l’incarcération des justiciables innocentés étant de 463 jours. Le garde des Sceaux envisagerait donc d’étendre aux délits l’applicabilité du dernier critère de l’article 144, jusque-là réservé aux crimes, celui du trouble à l’ordre public causé par l’infraction, au prétexte fallacieux que seule cette extension d’applicabilité aurait permis le placement en détention provisoire de ces « individus qui ont commis des faits qui choquent profondément les Français », à l’instar de l’infirmière mentionnée. Ce faisant, il fait mine d’oublier que ledit « trouble ne peut résulter du seul retentissement médiatique de l’affaire ». D’un côté, il enjoint ses procureurs et procureurs généraux à faire baisser la surpopulation carcérale, de l’autre, il fait croire que les magistrats n’ont pas suffisamment de latitude pour incarcérer des présumés innocents. L’essentiel est de surcommuniquer et de fabriquer une opinion publique qu’il sait prompte à dénoncer un laxisme judiciaire largement fantasmé. Quitte à tricher et à instrumentaliser un dossier que couvre le secret de l’instruction et dont personne ne sait rien.

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